Le pot de moutarde a chanté.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois.

Puis il s'est tu.

C'était vraiment étrange, un pot de moutarde qui chante. Encore plus étrange que le meurtre du colonel, dans la bibliothèque. Il faut dire que des meurtres, j'en ai déjà vu pas mal, dans ma carrière. Des compliqués, des compréhensibles, des passionnels, des sanglants, des dégoûtants,... Mais des comme ça, non.

Pourtant, la journée avait bien commencé... C'était une belle journée de printemps, les oiseaux chantaient, y'avait des couples pleins les bancs et tout avait un air de jeunesse, de fraîcheur, qui donnait envie d'aller s'raser et puis d'compter fleurette à la première inconnue. Alors quand l'boss m'a bigophoné, j'me suis pas inquiété, peinard j'ai marché jusqu'au poulailler, tranquille, la clope au bec et le café à la main, des cœurs dans les yeux. Mais quand j'suis entré, il était au bout d'sa vie le chef, il m'a envoyé sur les lieux du crime fissa.

Et il était là, tout bleu, étouffé, la langue pendante, comme après une longue lutte avec l'air.

Sale tableau.

Sale affaire en perspective.

Au début, j'ai pensé à une bête histoire d'héritage. C'est souvent le cas avec les p'tits vieux pleins d'tunes. Y'a des neveux bien attentionnés et des nièces trop mignonnes partout. Sans compter les bons docteurs et autres infirmières tellement dévouées...Mais là, rien, que dalle, pas de famille, un vieux majordome normal et sa femme. Dévoués. Vraiment, pas du toc. Pas de testament, pas d'héritiers possibles. Rien, peau d'zob.

Puis, j'ai vraiment trouvé ça bizarre, l'appartement était pleins d'objets moches, étranges, encore plus chargé que les étagères de ma grand-mère, et Dieu sait que sa collection d'assiettes en porcelaine avait pu faire saigner mes yeux. Mais là, c'était le kitsch érigé en art de vivre, un musée des horreurs dans 100m².

Y'avait un truc qui clochait grave, et pas que dans la déco. Puis ce pot de moutarde, là, si hideux, sur le bureau, qui semblait m'observer. Depuis que j'étais entré, il semblait me suivre, même s'il n'avait pas d'yeux réels, bien en évidence sur le bureau en acajou ouvragé. Ça faisait quatre heures que je retournais la pièce dans tous les sens, à la recherche d'un putain d'indice, les scientifiques et tout l'reste depuis longtemps partis grailler. Quatre fichues heures, à retourner toutes les conneries sur les étagères, avec l'impression malsaine d'être observé, surveillé, jugé.

Bon sang, il n'y avait vraiment rien de rien d'un début de queue d'indice pour savoir par où commencer l'enquête...

Et il me narguait, le fils de chien, avec ses couleurs moches, ce jaune-brun dégueulasse, et les flonflons en argent. Mon dieu que c'était laid, comment on pouvait garder ça chez soi ?

Et maintenant, c'était mon tour. Cette saloperie de pot de moutarde a chanté, encore une fois.

Bordel de merde.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois.

Et j'ai senti l'air me manquer.

Merde, merde, merde !