-  Tu sais, Dmitry, pour moi la bienveillance n’est pas un mot vide de sens. Je trouve cette notion primordiale dans notre monde perturbé. Ce n’est pas, comme certains ont tendance à le penser, une incantation naïve éloignée des réalités de la vie.

Vlad met toute la persuasion dont il est capable dans ces mots. Il a conscience du regard du groupe fixé sur lui et surtout, celui cyclopéen de l’œil de la caméra dans son dos. Un peu gêné, Dmitry fait un geste vague du menton, mais ne répond rien.

-  Je sais que votre génération est émotionnellement plus fragile que la nôtre. Vous n’avez pas eu à traverser les conflits qui, enfants, ont permis à notre caractère de se durcir.

Depuis longtemps, Vlad a compris qu’inspirer la bienveillance est un acte de leadership. La meilleure incarnation de l’intelligence émotive et relationnelle d’un chef.

-  Mais le danger est de pousser trop loin la bienveillance, reprend Vlad. Dans le cas d’un supérieur envers un inférieur, cela peut prendre des airs de condescendance. Alors qu’au fond c’est un enjeu de justice, elle est due aux pauvres et aux malheureux. D’une certaine façon, elle permet même de justifier le déclenchement d’une guerre au nom de la défense de la veuve et de l'orphelin.

Avec lenteur, Vlad s’accroupit pour déplacer délicatement l'extrémité d'une bande du film cellophane. En se relevant, il sort un paquet de cigarettes et le tend en invite vers Dmitry. D'un signe de tête, celui-ci accepte.

Autour des deux hommes, le groupe garde le silence, conscient de l’importance du moment, buvant les paroles de leur chef. Seul Peptosk, un peu anxieux, serre le manche de son outil avec nervosité.

-  Comme je parle couramment le français, je participe depuis longtemps à un forum littéraire sur le net. C’est là, au contact de gens bienveillants, que j’ai appris à avoir un comportement altruiste. Comportement d’ailleurs reconnu par mes pairs. Se montrer sensible à la situation d’autrui, les comprendre et leur marquer de l’attention.

Il se baissa de nouveau pour allumer la cigarette de Dmitry.

-      Une posture accueillante, non-jugeante, ouverte à la différence. Une vraie source d’apaisement pour moi et une mise en confiance pour mes relations.

Dans un murmure, le groupe d’hommes serrés autour de lui acquiesce.

-  Vois, il en ressort une amélioration globale de la qualité de nos relations.

Vlad lève les yeux au loin, à la recherche d’une inspiration. En revenant vers Dmitry, son regard croisa celui de Peptosk et son visage se durcit.

-  Bon, il y a encore beaucoup à dire sur le sujet, mais nous avons une mission à accomplir.

Après avoir virilement tapoté l’épaule de Dmitry, d'un clignement de paupières, il donne son aval à Peptosk. Celui-ci avance de quelques pas, lève sa masse et, avec un han ! de bûcheron, l’abat de toutes ses forces.

Alors que la tête de Dmitry explose comme une pastèque trop mure, les morceaux d'os et de cervelle restent contenus par le film de cellophane qui enserrait son crâne contre un parpaing.

Curieusement, à travers le trou destiné à le laisser respirer, la cigarette a échappé au massacre et continue de fumer.





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  2 commentaires

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Pimprenelle   aime ce chapitre

5 mois

Un frisson me parcourt l'échine.
Je ne suis pas sûre qu'il soit provoqué par la bienveillance, si bien théorisée par Vlad.
L'art de la chute , maitrisé par Pepito : Lorsque la qualité du récit provoque presque la nausée, c 'est surement qu'il colle vraiment au cynisme de l'Histoire, la notre, contemporaine.

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5 mois modifié

Coucou Pimprenelle (j'adore le pseudo ! 😉 merci beaucoup pour ta lecture et le retour. Bon, à force d'habitude, on voir venir la chose. ^^
L'inspiration vient de cette demande permanente de bienveillance de la part de jeunes apprentis écrivain. Et aussi des méthodes de management assez sommaires de ce brave Prigojine. Gageons que lui aussi va se retrouver avec la tête contre une brique et que même la brique elle va avoir mal.
A quand un de tes récits ici ? ;-))

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